03-12-2024
Prix négatifs de l’électricité : une réalité de plus en plus fréquente
La réforme du marché européen de l’électricité se veut être une solution à long terme pour éviter une nouvelle crise énergétique.
Au pic de la crise, le prix de gros de l’électricité avait franchi le seuil historique des 1000 euros le MWh en France en 2022, là où il s’élevait à 85 euros un an plus tôt, déjà en au-dessus des prix de marché pré-COVID. Cette flambée des prix de l’électricité a été la conjoncture de raisons à la fois structurelles et conjoncturelles.
Pour faire face à cette situation, la Commission européenne a d’abord présenté dans un premier temps son plan RepoWerEU le 18 mai 2022. Celui-ci introduit des mesures axées sur les économies d’énergie et la diversification des approvisionnements énergétiques, afin de réduire la dépendance énergétique aux importations de combustibles fossiles russes.
Dans le même temps, l’Union Européenne a adopté plusieurs règlements d’urgence visant à assurer la sécurité d’approvisionnement énergétique et à lutter contre la hausse des prix de l’énergie pour les consommateurs. Des règlements portant sur les stockage de gaz et la réduction de la demande, mais également la limitation des bénéfices exceptionnels sur les marchés, ainsi que sur l’accélération des procédures d’autorisations pour les installations d’énergies renouvelables.
Cette réforme du marché européen de l’électricité élargit le champ d’action des États membres en leur permettant de recourir à une palette d’outils en cas de nouvelles crises.
Ses objectifs sont nombreux : lutte contre la volatilité des prix, protection des consommateurs, accélération des investissements dans les énergies renouvelables et amélioration de la flexibilité du système électrique. Le tout en assurant l’atteinte de l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 et en améliorant la compétitivité industrielle de l’Union Européenne.
Un ensemble de textes a ainsi été révisé :
De nouvelles règles visent à endiguer la volatilité des prix à court terme sur les marchés. Pour cela, elles encouragent deux types de contrats à long terme (PPA et CfD), qui peuvent être mis en place par les États membres sur une base volontaire.
Les contrats de gré à gré, dits PPA (Power purchase agreement), sont des accords de vente directe entre un client, souvent les entreprises les plus gourmandes en énergie, et un producteur. Fixés pour une durée de 5 à 20 ans, ces contrats atténuent les risques de volatilité du marché pour les clients. Le texte reconnaît l’existence de barrières à l’entrée en particulier pour les PME et encourage les États membres à faciliter l’agrégation de la demande de consommateurs individuels via des modèles de PPA multi-acheteurs. Enfin, l’ACER (Agence européenne de Coopération des Régulateurs) est invitée à publier une évaluation annuelle de l’état du marché des PPA.
Ensuite, la réforme prévoit d’offrir davantage de visibilité aux investisseurs avec des « contrats d’écart compensatoire bidirectionnels » (CfD ou Contract for Difference en anglais). Ils sont signés entre les pouvoirs publics et les producteurs d’électricité décarbonés et fixent une fourchette tarifaire de vente pour plusieurs années.
Lorsque sur les marchés, le prix de l’électricité passe en dessous de cette fourchette de prix fixée dans le contrat, l’État est tenu d’indemniser le producteur, autrement dit de payer son manque à gagner. Dans le cas contraire, lorsque les prix de marché sont supérieurs à la fourchette fixée, le producteur verse la différence à l’État qui la redistribue au consommateur final. Ce type de contrat doit garantir au producteur une rémunération à prix fixe, et un prix fixe d’achat pour le consommateur.
Les recettes issues des CfD peuvent être utilisées par les États membres pour alléger la facture des clients résidentiels, en particulier des clients vulnérables et des clients en situation de précarité énergétique, ou pour des investissements dans le réseau de distribution, les énergies renouvelables ou d’autres moyens de production décarbonée.
Sur proposition de la Commission, le Conseil européen pourra déclarer un « état de crise » si les prix atteignent :
En cas de crise, les États pourront intervenir sur le marché, notamment pour soutenir les ménages les plus précaires et les entreprises en difficulté. C’est-à-dire prendre des mesures temporaires, telles que le bouclier tarifaire, pour fixer les prix de l’électricité au moyen de tarifs réglementés de vente (TRV). Ces mesures devront cependant rester temporaires et proportionnées, et ne pas créer de distorsion de concurrence ou de fragmentation des marchés de l’énergie.
Les fournisseurs sont encouragés à proposer des contrats de fourniture d’énergie à prix fixe et à durée déterminée, sans possibilité pour le fournisseur de modifier unilatéralement les modalités et conditions contractuelles ou de mettre fin au contrat avant son échéance. Les États membres peuvent cependant exempter les fournisseurs avec plus de 200 000 clients de proposer ces offres s’ils ne proposent que des offres dynamiques et que l’offre de contrats à prix fixe est suffisante.
Les fournisseurs devront communiquer à leurs clients non seulement le prix total de leur contrat, mais aussi sa composition et s’il est fixe, variable ou dynamique, l’adresse électronique du fournisseur et les coordonnées d’un service d’assistance au consommateur, ainsi que des informations relatives aux paiements uniques, les services supplémentaires et les remises. Tout cela “de manière bien visible, et dans un langage simple et concis”.
Les fournisseurs ne peuvent pas résilier un contrat avec un consommateur au seul motif d’une plainte déposée par le consommateur à leur encontre.
Les autorités de régulation (La Commission de Régulation de l’Energie en France) peuvent prendre les mesures appropriées en cas de frais de résiliation “inadmissibles”.
Les nouvelles règles encouragent aussi le partage de l’énergie. Les particuliers pourront par exemple investir dans des parcs éoliens et solaires pour vendre à leurs voisins l’électricité qu’ils produisent en supplément de celle destinée à leur propre consommation.
Les gestionnaires de réseau de transport et de distribution sont tenus d’enregistrer les accords de partage de l’énergie et mettre à disposition les informations pratiques pour le partage de l’énergie. Les clients vulnérables et les consommateurs en situation de précarité énergétique doivent pouvoir accéder au partage de l’énergie.
Les États membres doivent mettre en place les mesures nécessaires pour protéger ces catégories de consommateurs, “y compris l’interdiction des interruptions”. Les fournisseurs seront donc invités à coopérer étroitement avec les services sociaux.
Afin d’éviter les coupures, les fournisseurs sont encouragés à mettre en place des codes de bonne conduite pour les consommateurs, pour prévenir et gérer ces situations en cas de retard de paiement.
Il doit être désigné avant ou au moment de la défaillance d’un fournisseur, et est élargi aux PME.
Les autorités de régulation doivent « veiller » à ce que les fournisseurs d’électricité mettent en œuvre des stratégies de couverture appropriées, « en tenant compte de la taille du fournisseur ou de la structure du marché et, le cas échéant, en effectuant des simulations de crise ». Des règles générales encadrant les stratégies de couverture pourront être proposée.
Ces mécanismes permettent de subventionner les solutions de flexibilité du réseau, y compris les centrales fossiles, qui ne sont pas appelées suffisamment souvent sur le marché pour être rentables par la seule rémunération de leur production. Ces centrales peuvent ainsi faire l’objet de subventions via ce mécanisme rémunérant la capacité disponible. Les mécanismes de capacité sont ouverts à toutes les sources d’énergie, sous réserve de respecter un seuil d’émission fixé à 550g CO2 / kWh d’électricité. Ils sont approuvés par la Commission européenne pour une durée maximale de 10 ans.
Les autorités de régulation, en France la CRE (Commission de Régulation de l’Énergie), réaliseront une évaluation périodique des besoins de flexibilités du réseau sur la base des données fournies par les gestionnaires de réseau de transport et de distribution. La Commission européenne est par ailleurs invitée à élaborer une stratégie en matière de flexibilités avec un focus sur la participation active de la demande et le stockage.
Sur les marchés infrajournaliers (ou intraday), les carnets d’ordre de produits infrajournaliers seront désormais mélangés jusqu’à 30 min avant la livraison, ce qui a pour effet d’améliorer la liquidité de ces marchés. Cela devrait permettre aux producteurs d’énergies renouvelables de maximiser leurs échanges au plus proche du temps réel, en fonction de l’évolution de la courbe de production de leurs centrales.
Les États membres peuvent demander aux gestionnaires de réseau de transport de proposer des produits d’écrêtement de pointe (peak shaving) pour réduire la demande d’électricité aux pics de demande. Ces produits permettent aux opérateurs de déplacer la charge d’un site de consommation en temps réel, à travers le recours par exemple à des générateurs, à de l’autoproduction photovoltaïque ou éolienne, encore avec du stockage.
La réforme du règlement relatif à la protection contre la manipulation du marché de gros de l’énergie (REMIT) s’inscrit également dans la réforme plus large du marché. Ces modifications renforcent notamment le rôle de l’Acer (l’agence de coopération des régulateurs de l’énergie), et prévoient une coopération plus étroite entre différentes autorités de contrôle (autorité européenne des marchés financiers, régulateurs de l’énergie des États membres, autorités financières et de la concurrence).
La réforme proposée a suscité des réactions divergentes de la part des acteurs du secteur de l’énergie et des décideurs politiques. Quand les défenseurs de cette réforme prônent la stabilité, certaines voix s’opposent face à son manque d’ambition.
Selon les partisans de la réforme, le marché européen de l’électricité a démontré sa robustesse face aux récentes crises. Malgré la situation, les interconnexions européennes ont joué un rôle essentiel en garantissant l’approvisionnement énergétique de la France, démontrant que le marché européen de l’électricité constitue une garantie en matière de sécurité d’approvisionnement.
De l’autre côté, les opposants critiquent le fait que la réforme ne touche pas aux fondamentaux du marché européen : le principe du “merit order” demeure inchangé. D’autre part, la loi autorise les gouvernements nationaux à subventionner les centrales électriques au charbon en période de crise jusqu’en 2028. Les promesses d’une loi basée sur un système électrique entièrement renouvelables ne sont donc pas au rendez-vous.
Les textes seront publiés au Journal officiel de l’Union Européenne d’ici à l’été 2024.
La directive établira un cadre global que chaque État membre devra transposer en droit national dans un délai de 2 ans.
Les États membres et les députés européens ont trouvé un compromis sur la nouvelle législation en décembre dernier. La réforme devra désormais être adoptée par le Conseil de l’UE pour définitivement entrer en vigueur.
Sources
Merci à l’équipe Affaires publiques d’elmy !
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