13-12-2023
🎙️Stéréotypes femmes/hommes : c’est pas notre genre !
Brand manager
24%. C’est la part de femmes parmi les ingénieurs selon l’Observatoire des femmes ingénieures. Descendons à 17% : c’est la part des femmes dans le secteur de la tech et du numérique selon l’étude GenderScan de 2022.
Valentin – Pourquoi as-tu accepté notre invitation ?
Camille – J’ai accepté votre invitation parce que à titre personnel les enjeux d’égalité homme-femme au sens large sont des enjeux qui m’intéressent, et en tant que femme et en tant que DRH je trouve que c’est un sujet sur lequel il y a particulièrement à faire et à dire. Notamment à quel point le travail aujourd’hui est un facteur d’égalité ou d’inégalité. Je trouve qu’on a fait pas mal de chemin ces dernières années, mais qu’il y en a encore beaucoup à faire, donc j’étais très contente de pouvoir témoigner un petit peu et échanger à ce sujet qui me semble très important.
V – Chez elmy, il y a beaucoup d’ingénieurs, de scientifiques. De manière générale selon toi, pourquoi il y a encore si peu de femmes pour ses profils dans ces secteurs ?
C – Selon mon expérience, c’est avant tout un manque de représentation, de porte-parole. J’ai
l’impression que les femmes scientifiques sont moins présentes donc moins représentées, et au final, le principal problème se situe en amont, c’est-à-dire dès le choix des études, au moment où l’on imagine un peu la carrière qu’on va faire. Quand on arrive à se projeter sur une femme ou un homme qui va embrasser tel ou tel type de carrière, on va plus facilement s’orienter vers tel ou tel type d’études. J’ai lu une étude Ipsos de 2021 qui est paru sur le sujet, et qui montre qu’en fait les jeunes filles sont très rarement encouragées à embrasser des carrières scientifiques. La statistique c’était que 61% des jeunes garçons sont encouragés par leur environnement familial à s’orienter vers des métiers scientifiques, alors que seulement 30% des jeunes femmes le sont.
Donc finalement, c’est par manque de capacité de modélisation, par manque de porte-parole, de modèles, et finalement c’est le vecteur de beaucoup de stéréotypes. On va avoir des métiers qu’on stéréotype masculins et des métiers qu’on stéréotype féminins, et finalement le choix des études révèle ça et fait que lorsqu’on arrive sur le monde du travail, il y a moins de femmes que d’hommes sur certains métiers. Donc ça se retrouve statistiquement sur les métiers de la tech, les métiers de l’ingénierie, les métiers scientifiques etc.
V – Donc finalement, selon toi au-delà de ce problème de demande, il y a un problème au niveau de l’offre, où il n’y a pas assez de profil dès le départ sur le marché.
C – C’est un autre sujet sur d’autres métiers. Aujourd’hui, sur des métiers de direction par exemple, des postes de management ou de management supérieur, là on peut se poser la question de la discrimination des femmes par rapport notamment à la question de la maternité et de la parentalité. Pour ce qui est des filières techniques et scientifiques, on a clairement un manque de candidature féminine sur ces postes là, et même si on a envie de favoriser des candidatures féminines, sur certains postes il n’y en a tout simplement pas.
Donc effectivement le problème est en amont. C’est pour ça que ce qu’on essaie de faire chez elmy, c’est d’aller agir auprès des jeunes femmes, des jeunes publics, des collégiennes, des lycéennes, pour aller susciter auprès d’elles de l’intérêt vers ces métiers, notamment en leurs faisant rencontrer les femmes scientifiques qui travaillent chez nous, en partageant leur parcours pour leur donner envie, leur montrer cette voie possible, puisque ni l’environnement familial ni la société ne leur montre suffisamment cette voie.
V – Comment ça se met en place justement, il y a une prise de contact auprès de collèges, lycées ?
C – On a mis en place un partenariat avec l’association Elles bougent qui va nous servir justement d’intermédiaire et qui organise des séances de sensibilisation dans les collèges et dans les lycées pour faire rencontrer des jeunes femmes et des professionnels, pour tout simplement échanger sur leur parcours, leur choix d’études et qu’elles racontent aussi comment est concrètement leur quotidien. Et ainsi essayer de susciter des vocations et des intérêts.
V – Je suppose que tu es porte-parole sur cette question là, est-ce que tu arrives justement à trouver d’autres porte-paroles en interne chez elmy pour justement porter cet effort là auprès des collèges et des lycées ?
C – Moi-même je ne suis pas porte-parole car je n’ai pas un cursus scientifique, et pour être marraine dans l’association Elles bougent, il faut vraiment avoir un cursus scientifique et un métier dit technique, donc moi je vais plutôt faire le lien avec les profils techniques en interne, pour leur donner envie de dédier du temps à cette exercice de sensibilisation. Sur la grosse dizaine de femmes ingénieures chez elmy, elles ont toutes été volontaires pour participer à l’expérience donc globalement, je n’ai pas de mal à les mobiliser parce qu’elles sont les premières à savoir que quand on est une femme en école d’ingénieur, quand on est une femme dans un environnement IT, on se sent parfois peut-être un peu seule…
V – Est-ce que tu dirais qu’il y a un changement de mentalité ? Que ce type d’action a déjà porté ses fruits ?
C – C’est encore tôt puisque ce sont des choix d’orientation qui se font des années plus tard finalement, puisque nous on intervient vraiment auprès de jeunes publics de collège-lycée. Je sais que la tendance est à la hausse mais ça reste reste je crois autour de 30% aujourd’hui de femmes en école d’ingénieur, donc ce serait trop tôt pour dire quel impact ça a eu de notre côté. Après je pense que, sur ne serait-ce que la visibilité de cette association et le fait que les entreprises soient nombreuses à rejoindre cette association montrent quand même l’intérêt. Et avec de l’intérêt, il devrait y avoir un changement, mais aujourd’hui je ne peux pas vraiment te dire et de manière générale si cela a un impact.
V – Est ce que de manière générale tu ressens, tu constates, un changement des mentalités sur la question globale de la représentativité des femmes ?
C – J’ai l’impression qu’aujourd’hui la question de la maternité par exemple, qui a pour longtemps été considérée comme une des explications au manque de représentation des femmes dans certains métiers ou dans certains niveaux de responsabilité, les choses évoluent un petit peu dans le bon sens. Mais je pense qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire.
V – On va prendre un cas inverse amusant, celui des ressources humaines. Est-ce que justement tu saurais expliquer, à l’inverse, pourquoi il y a autant de femmes dans les ressources humaines ?
C – Ca fait maintenant 15 ans que je travaille en RH, donc j’ai vu passer effectivement beaucoup d’équipes, quasiment 100% féminines, comme c’est le cas aujourd’hui chez elmy d’ailleurs, et je pense qu’à l’inverse de ce que je te disais tout à l’heure sur les stéréotypes des métiers scientifiques, il y a les mêmes stéréotypes sur les métiers RH. On est sur des métiers humains, de psychologie, de droit, d’administratif, avec des qualités d’écoute, d’empathie, d’organisation, et de la même manière que certains métiers véhiculent des stéréotypes qui vont attirer des hommes, ces métiers véhiculent des stéréotypes qui vont attirer des femmes, donc en fait c’est le schéma inverse mais c’est la même dynamique au final.
V – Est ce que se pose la question de la représentativité des hommes dans ce métier ?
C – Tout à fait ! Je n’ai pas encore moi-même créé le Elles bougent inversé qui permettrait d’aller dire aux hommes de s’orienter vers ces métiers, mais j’y ai déjà pensé blague à part. En tant que femme, je sais pas si je serais la mieux placée, mais en trouvant des hommes qui ont fait ce choix de métier et qui s’y trouvent épanoui. A titre personnel, quand j’ai eu à recruter pour mes équipes, j’ai toujours essayé à compétences égales de tendre vers la parité, ce qui est très difficile voire quasiment impossible, donc oui la question de la parité se pose parce que je pense que dans tous les cas l’équilibre est la meilleure chose qu’il puisse y avoir pour un collectif.
V – A l’instar par exemple des chefs étoilés qui représentent les hommes en majorité dans la haute gastronomie, alors qu’évidemment traditionnellement et dans les clichés habituelles, on représente plus les femmes associées à la cuisine, est-ce qu’il existe cette même disparité là, à savoir malgré une représentativité plus forte des femmes dans les ressources humaines, est-ce qu’on constate plus de directeurs de ressources humaines ?
C – Oui, le ratio sur les hommes DRH et femmes DRH doit être un tout petit peu plus favorable aux femmes que sur des métiers de directeur commerciale ou directrice commerciale par exemple. Par contre, effectivement, il est assez fréquent, notamment dans des grands groupes, de voir des équipes RH qui sont très féminisées, et d’avoir un ou deux hommes qui seront plutôt sur des fonctions de DRH et de management. Sur les différents profils que je peux suivre sur LinkedIn entre autres, c’est perceptible, on a des équipes de femmes mais par contre, on a des dirigeants qui sont hommes !
V- Chez elmy a été mis en place l’holacratie. Alors, déjà est-ce que tu peux nous rappeler ce que c’est, et est-ce que tu ressens un bienfait de l’holacratie sur cette question de la représentativité des femmes ?
C- L’holacratie, c’est un modèle d’organisation où le pouvoir n’est pas concentré entre les mains d’une personne ou d’un groupe de personnes, il va être redistribué et partagé, donc les activités sont définies et distribuées en “rôle” et chacun sur son “rôle” va être autonome et décisionnaire. Donc globalement, on a du management, mais on a supprimé la notion de manager. Et oui, je vois clairement un lien avec les enjeux d’égalité et de représentation des femmes parce que l’holacratie est un environnement qui est inclusif, plus qu’un modèle pyramidal. Parce qu’en fait l’holacratie va notamment prôner le fait d’aller chercher l’avis de chacun avec des processus qui sont bien documentés. Pour le faire, on va aller demander le point de vue de chacun, on ne va pas attendre que celui qui parle le plus fort ou celui qui parle le plus longtemps est un poids prépondérant dans les décisions, et finalement ça va être positif pour les femmes mais aussi pour les introverties en général parce que le fait de devoir exprimer son point de vue y compris quand on ne le demande pas, va permettre aussi des bienfaits pour des hommes qui parfois n’ont pas les stéréotypes qu’on prête aux hommes de parler fort, d’affirmer son point de vue, d’avoir beaucoup de confiance en soi, etc. Donc oui, je dirais que c’est un effet positif pour les questions de représentation des femmes et plus largement aussi pour les traits qu’on prête aux femmes et qui ne sont pas forcément au quotidien qu’incarnés par les femmes.
V – Tu as vu cette différence en interne sur des profils qui n’étaient pas forcément autant à l’aise avant pour prendre la parole dans des réunions par exemple ?
C – Oui. Cela demande aussi quand même un travail sur soi, c’est à dire que quelqu’un qui n’est pas habitué à donner son point de vue, il ne suffit pas de lui dire tu peux donner ton point de vue pour qu’il arrive à le faire en étant pleinement en confort. Mais oui, à force je pense d’instaurer un cadre où on va te demander ton avis, tu prends de plus en plus plaisir à le donner si tu sens que tu es écouté et que tu as de l’impact. Tu vas aussi davantage t’autoriser à dire quand tu n’es pas d’accord, à exprimer une idée. Et puis c’est vrai que l’holacratie donne plus de place que les entreprises traditionnelles aux ressentis, aux émotions donc typiquement en holacratie, on va avoir en début de chaque réunion un tour d’inclusion où on a la place d’exprimer son état d’esprit, son émotion du moment : sa joie, sa peine, sa colère, sa fatigue… On travaille aussi avec des notions de feedback, on propose des formations à la communication non-violente justement où l’on invite chacun à exprimer son point de vue, à écouter le point de vue de l’autre, donc oui je pense que tout ce cadre là fait que les personnes qui se censurent un peu en temps normal (et on peut imaginer que dans la majorité des cas, cela peut être des femmes) sont ici dans un environnement un peu plus safe, et elles sont plusieurs à le dire.
V – Et dans l’autre sens, est-ce que tu dirais que l’holacratie permet parfois de mettre des barrières à des comportements masculins qui pourraient être considérés comme toxiques ?
C – Je pense, en tout cas c’est le but. Est-ce que ça marche à 100% ? Probablement pas, ce n’est pas magique. Aussi, s’autoriser à exprimer leurs fragilités, leurs peines, enfin leurs émotions, à ne pas aussi être dans une injonction de force, d’impassibilité, donc oui je pense que ça agit aussi positivement sur les hommes. Ca chamboule, mais c’est pour le mieux, et au vu des différents indicateurs qu’on a sur la fidélisation des salariés etc., je pense qu’on arrive à montrer que l’on est globalement homme et femme gagnants.
V – Par rapport au regard que tu avais quand tu étais petite sur le monde du travail, sur la représentativité des femmes et des hommes dans ce monde là, qu’est ce que tu dirais à la version “petite” de toi ?
C- Je crois que je dirais à la version petite de moi d’avoir confiance, de pas avoir peur, de ne pas se soucier du fait que ce qu’on dit est légitime ou pas, alors que beaucoup d’hommes ne s’en soucient pas. Donc finalement, prendre confiance dans le fait que l’on a toute légitimité à dire ce qu’on a envie de dire. J’ai été élevé par un papa qui m’a beaucoup poussé dans cette voie, qui a toujours prônait le fait que tout était possible avec du travail et du courage, donc ça m’a aidé. C’est vrai que j’aurais quand même envie de redire à la petite fille que j’étais de prendre confiance, et de ne pas avoir peur de dire ce qu’on pense, et de se sentir légitime tout simplement.
V – Est-ce que sur cette question de la représentativité des femmes, tu as un dernier message à faire passer ?
C – Peut-être le même en fait finalement. J’ai envie de dire aux femmes qui écoutent que la confiance en soi, c’est sûrement le plus beau cadeau qu’on peut se faire pour réaliser ses rêves, pour s’épanouir au travail, peu importe votre voie finalement, et j’ai le sentiment qu’aujourd’hui encore, il y a un écart là dessus, que les femmes ont moins confiance en elles que les hommes, en tout cas dans le monde du travail, et du coup je pense que c’est vraiment ça la clé, d’arriver à travailler sur la confiance en soi et que c’est en travaillant là dessus que l’on peut, peut-être, faire changer les choses et continuer le chemin qui a été amorcé et encore une fois qui va dans le bon sens. Travailler sur la confiance en soi, c’est un travail de chaque instant !
V – Pour conclure, c’est quoi pour toi “être branchée” ?
C – Être branchée, pour moi c’est être connectée au monde d’aujourd’hui, aux enjeux nombreux qui sont ceux d’aujourd’hui, et être en même temps connectée à toutes les solutions qui existent. Je dirais qu’être branchée, c’est à la fois avoir conscience du monde dans lequel on vit, qui encore une fois présente de nombreux défis, et en même temps être connectée avec toutes les choses positives et toutes les solutions qui existent.
Branché ! Le podcast optimiste pour auditeurs et auditrices éclairés
Dans chaque épisode, nous branchons nos micros avec des personnalités inspirantes et des experts de la transition énergétique, écologique et solidaire. Notre but : vous apporter un éclairage sur le monde d’aujourd’hui et sur les idées lumineuses de demain.
Pour cette première série de 3 épisodes, nous avons décidé de mettre en lumière des femmes inspirantes.
Et on est pas allé bien loin pour les trouver, puisqu’elles font toutes parties d’elmy. Elles sont ingénieures, analystes, développeuses et ont choisi des métiers encore trop majoritairement dits “masculins”. Elles vous feront découvrir leur parcours, leur énergie et pourquoi il ne faut pas avoir peur de se lancer dans les domaines scientifiques et technologiques.
Sources